PAR MARIANNE NIERMANS
Le 4 janvier 1913, les fastes de l’inauguration du Négresco défrayent la chronique. Le palace «au luxe sans égal», fruit de la volonté d’Henry Négresco, un ancien maître d’hôtel roumain, et du talent de l’architecte d’origine néerlandaise Édouard Niermans, fait son entrée dans le monde devant un parterre d’«hivernants» choisis de la Café Society, l'ancêtre de la Jet Set. Quatre mois après son ouverture le palace affiche des recettes d’un million de francs. L’avenir de l’hôtel semble tout tracé. Henry Négresco respire… un an seulement.
Le 12 septembre 1914, l’hôtel est affecté en hôpital militaire complémentaire sous le matricule n° 15. La guerre vient de mettre un terme à la fête emportant avec elle le monde oisif et fortuné qui «s’amusait de poudroiement d’or et d’espaces sans fin», pour lequel le Négresco avait été bâti. Au lendemain du conflit, «le palais des temps présents» n’est plus que l’ombre de lui-même. Cédé en 1920 à un groupe belge, l’hôtel se voit par la suite amputé de la moitié de ses chambres vendues en appartement.
Racheté en 1957 par Jeanne et Paul Augier, le palace reprend son souffle et retrouve son âme. Mais si l’allure extérieure du l’hôtel demeure inchangée, la vie qui s’y déroule ne ressemblera plus jamais à celle qui avait été la sienne. Même si on y croise de nouveau tout ce que le monde compte de célébrités venues rêver de fastes périmés. Ironie du sort, le palace qui a vécu – tel qu’il avait été conçu – à peine deux saisons d’exploitation, restera dans la mémoire collective l’incarnation de cette Belle Époque qu’il a si peu connu.
Rare survivant d’un temps révolu, né de la rencontre de deux hommes venus d’ailleurs, Henry Négresco et Édouard Niermans, le gigantesque vaisseau de style néoparisien marquera à jamais le paysage urbain de Nice. Au point que le palace mythique deviendra au fil du temps l’objet architectural emblématique de la ville.
Que de chemin parcouru! Fils d’un aubergiste roumain, Henry Negrescu – il francise son nom en Négresco – naît à Bucarest en 1868. À 15 ans, violon à la main, il décide de sillonner l’Europe pour se former aux métiers de l’hôtellerie: l’Allemagne, la Belgique, l’Autriche, Paris, Monte-Carlo, Londres… De ses voyages et de ses emplois successifs, il acquiert une solide formation doublée d’une parfaite maîtrise d’une demi-douzaine de langues. Polyglotte, gravissant un à un les échelons, il devient tour à tour commis de restaurant, chef de rang, maître d’hôtel, pour accéder au stade suprême de directeur d’établissement. Fort de son expérience, Négresco décide en 1900 de s’installer définitivement sur la Côte d’Azur, rendez-vous incontournable de la Café Society, clientèle élitiste et fortunée d’Europe et des États-Unis
Maître d’hôtel, puis directeur du Hedler à Monaco, il navigue avec aisance dans l’univers proustien du Gotha. Princes, grands-ducs, aristocrates, mais aussi milliardaires américains – Rockefeller, Vanderbilt, Singer ou encore Basil Zaharoff, le célèbre trafiquant d’armes – ne sauraient se priver de ses services lorsqu’il s’agit de composer un menu, choisir un vin ou une liqueur. À l’instar des grands hôteliers tels César Ritz ou Henri Ruhl, Henry Négresco est passé maître dans l’art de se rendre indispensable auprès de ses clients, prévenant leurs moindres désirs avec discrétion. «Négresco était un homme mondialement connu dans l’hôtellerie de luxe, un peu à l’image de Monsieur Ritz. Dans sa conversation, il savait trouver les mots justes et amicaux pour recevoir les grands dignitaires et les monarques. Sans être obséquieux, il savait les charmer. Il complimentait les femmes chargées de bijoux et de brillants dont l’élégance des robes indiquait les maisons de haute couture. D’apparence il était affable. Rond, de moyenne corpulence, il s’habillait avec raffinement chez les plus grands couturiers et tailleurs de Paris. Son visage racé n’aurait pas été remarqué si ses yeux foncés n’avaient pas été pleins d’intelligence et de malice. La première fois que je l’ai vu, il sortait d’une superbe limousine, un chauffeur respectueux casquette à la main lui ouvrait la porte. Il avait une démarche impérieuse qui montrait bien l’importance qu’il donnait à sa personne.» note dans ses mémoires Jean Niermans, (1897-1989), fils aîné d’Édouard Niermans, Premier Grand Prix de Rome, architecte en chef des Monuments nationaux.
En 1904, fort de sa réputation de savoir gagner, satisfaire et garder cette clientèle aussi exigeante que changeante, le précieux maître d’hôtel, décrit par un échotier comme «un homme élégant, affable, d’une beauté grecque, aux yeux de velours noirs aussi conquérants que sa moustache, qui sait aussi jouer de sa voix chaude teintée d’un léger accent» est appelé à prendre la direction du restaurant du Casino Municipal de Nice. Édifié en 1882 place Masséna, ce gigantesque bâtiment (aujourd’hui détruit) vient de faire peau neuve. Orchestrée par Édouard Niermans, l’architecte du moment, la réhabilitation de son Cercle Privé figure parmi les événements mondains qui ponctuent la vie du microcosme d’hivernants fortunés résidant à Nice pour la saison froide. «Que c’est frais ! Que c’est gai !» s’exclame-t-on admiratif devant l’exubérance du décor Art Nouveau de la grande salle de jeu. Célébré dans les gazettes, couvert de commandes, apprécié de ses clients et de ses commandataires dont il assure la réussite, Édouard Niermans, «artiste polymorphe né en Hollande par une erreur de la nature» comme le dépeint avec humour un chroniqueur du Gil Blas, figure parmi les grands ordonnateurs des plaisirs architecturaux de l’époque. Novateur inclassable, «serviteur de l’esprit du temps dans sa version ludique» cet ancien élève de l’École polytechnique de Delft, né le 30 mai 1859 à Enschede, compte à son actif un impressionnant palmarès: le Moulin Rouge, les Folies Bergères, l’Olympia, le Casino de Paris, les Capucines, Marigny, l’Élysée Montmartre, le salon de thé Rumpelmayer (l’actuel Angelina), la brasserie Mollard, le café Riche, le Brébant, les casinos de Biarritz, de Trouville, de Chatel Guyon, l’Hôtel du Palais à Biarritz, le Pyrénées Palace Hôtel de Luchon, celui de Madrid, de Fontainebleau, d’Ostende… Et bientôt le nouveau visage de l’Hôtel de Paris à Monte-Carlo et les studios de la Victorine à Nice. L’historien Bruno Foucart écrit: «avec Niermans, l’architecture du XIXe siècle s’enivre et sourit.»
Cette même année 1904, Édouard Niermans décide de quitter Paris pour s’installer définitivement avec sa famille à Nice. En 1909, il se fait construire chemin de Carras, dans la banlieue ouest de la ville appelée La Californie, une somptueuse maison qui abritera également son agence: la villa des Eucalyptus. «Il était arrivé par la force du poignet à cette situation. Dans les journaux, des articles élogieux consacraient son talent. Mon père artiste, l’âme voyageuse impénitente, avait le goût de son métier. Il aimait la perfection dans tout ce qu’il faisait. Cette villa des Eucalyptus était pour le couple l’aboutissement d’une grande réussite, d’une belle union.» Jean Niermans, Mémoires.
Reste que le 1er novembre 1912, la date prévue de l’inauguration ne peut être retenue. Service oblige, la demande de M. Gurney, un Américain qui a réservé une suite pour Noël 1912, est néanmoins satisfaite: le client réveillonnera au milieu des plâtres dans un appartement spécialement aménagé pour lui.
Deux mois plus tard, le 4 janvier 1913, le « palais des temps présents » fait son entrée dans le monde en compagnie de sept têtes couronnées — dont la reine Amélie du Portugal — et un parterre d’« hivernants » choisis de la Café Society. L’inauguration tant attendue est à la mesure des rêves d’Henry Négresco dont la devise se résume à «faste, luxe et prodigalité». On s’extasie devant l’ampleur du Salon Royal (le grand hall elliptique de style Louis XVI), la fraîcheur de sa verrière, le luxe de ses aménagements. On vante les statues de bronze de Tarnowski (démontées pendant la Seconde Guerre Mondiale), le bar américain, les fresques monumentales de Paul Gervais et d’Hippolyte Lucas. On chante le raffinement du mobilier Louis XV et Empire signé Paul Dumas des 420 chambres. On rêve devant les proportions de la salle à manger (600 m2) qui, sous six mètres de hauteur de plafond, occupe au rez-de-chaussée la totalité de la façade qui regarde la mer…. et enfin le prix exorbitant de l’immense tapis de savonnerie du Salon Royal dont le coût s’élève à 300 000 francs, soit un dixième de la totalité des dépenses… Seul Roland Garros ronge son frein. L’aviateur n’a pu atterrir sur le toit de l’hôtel. Édouard Niermans s’y étant opposé. L’historien Pierre Gouirand écrit: «le palace est un mythe, un lieu magnifique, un temple où se célèbre un culte inconnu où tout objet est anobli.»
Révolutionnaires, les nouveautés techniques et le luxe inégalé des installations ravissent visiteurs et chroniqueurs: chaque chambre est dotée d’une antichambre, d’une salle de bains privée, de doubles cloisons, de doubles portes pour une parfaite isolation, et de téléphones particuliers. Des commutateurs électriques sont à portée de la main et un service pneumatique permet la distribution de courrier par tube dans chacune des chambres. Cinq chaudières à vapeur installées sous le niveau de la mer pourvoient au chauffage de l’hôtel. La stérilisation des eaux se fait par rayons ultraviolets. Mais le plus étonnant reste le nettoyage par le vide effectué par une turbine centrifuge reliée à toutes les parties de l’hôtel par le moyen de soixante-dix-sept raccords permettant d’aspirer milles cubes d’air à l’heure. «Ce fut la soirée des hommes vaniteux. Un service courtois et empressé accompagnait une ambiance de joie et de gaîté mélangée. Mon père et ma mère, qui y assistaient, ne pouvaient être qu’au sommet de leur bonheur, comblés par la réussite de ce dernier chantier exécuté dans un temps aussi court. Le lendemain de l’inauguration, nous vîmes arriver devant notre maison, une superbe limousine que mon père avait commandée. C’était un cadeau pour ma mère.» Jean Niermans, Mémoires.
La première saison du Négresco s’annonce brillamment. D’emblée, ce «caravansérail de luxe» devient le lieu où il faut être et se montrer. Les «hivernants» — à ne pas confondre avec les «éphémères» dont le séjour ne dépasse pas deux mois — répondent présents aux offres de lancement de l’hôtel qui propose prudemment un tarif réduit sur les chambres donnant sur la mer. La saison hivernale 1912-1913 est déjà avancée. D’autant que l’usage veut qu’elle débute fin novembre par le fameux carnaval de Nice, pour se clore début mai et que la clientèle séjourne de l’hiver au printemps dans le même établissement. La concurrence est sévère et la Café Society, que les palaces niçois s’arrachent, capricieuse. Il convient de la séduire et de se l’attacher en écartant au mieux le spectre de l’ennui, inconcevable pour cette société en pleine mutation - où princes, et aristocrates s’allient à l'industrie et aux fabuleuses fortunes d’outre Atlantique - qui cultive à plus soif l’entre-soi.
Divertir, satisfaire les demandes, aller au-devant des désirs, la qualité du palace se jauge à son service et à sa table dont l’apparat, la composition des menus, l’opulence des plats, la finesse des vins se veulent sans égal. Déjeuners, thés, dîners rythment les journées tandis que les soirées qui se déroulent en grand cérémonial, robe du soir pour les femmes, habit pour les hommes, offrent tout son sens au paraître.
«Les fastes de la première saison, la qualité de la clientèle, la richesse des dîners de gala se succédaient dans une atmosphère de luxe peut-être encore jamais réalisée. Vers la fin de la saison cependant, un grave litige allait opposer Jean Litschgy, mon père, à Monsieur Négresco. Celui-ci, « originaire du restaurant » aurait souhaité la présence de vin blanc dans la bouillabaisse alors que mon père se refusait obstinément à modifier « sa » recette, jugeant cette présence contraire au bon goût et à toutes traditions culinaires. Jean se souvenait bien, d’ailleurs, de son été aux Sablettes, il y avait déjà huit ans de cela, où ce plat méridional faisait la gloire du Grand Hôtel. La polémique dura plusieurs jours. Partisans et adversaires du vin blanc discutaient ferme… Le grand Escoffier, dans son guide culinaire, édition 1907, reconnaissait lui-même que «l’unité de vue et d’exécution est encore à se faire pour la bouillabaisse». Même s’il y indiquait cette recette «à la Parisienne» où intervenaient six décilitres de vin blanc… Il était cependant clair et précis: «pas de vin blanc dans la bouillabaisse à la Marseillaise !»… mais Monsieur Négresco avait un faible pour la bouillabaisse à la Parisienne… Il insistait… Un autre que mon père sera sacrilège, car le soir même, après le service comme le voulait la bienséance, il «rendit son tablier» et se retira. On ne badinait pas alors avec sa fierté professionnelle.» Émile Litschgy, La vie des Palaces, Éditions TAC Motifs.
Hors les murs du palace, la vie est immuablement réglée. Nice, ville de villégiature par excellence comme le suggère les superbes affiches de la PLM, offre son chapelet de distractions: carnaval, casinos-théâtres, musique, spectacles, corsos fleuris, réceptions dans les folies mauresques ou néo-gothiques, excursions en bateau… sans compter les sports «aristocratiques» tels le Lawn-Tennis, le tir aux pigeons, les courses de chevaux et la toute nouvelle aviation qui, en 1914, donnera à Nice son premier grand meeting aérien et son premier aérogare signé là encore Edouard Niermans.
Puis, début mai, après une brillante saison hivernale, la Côte désertée, entre en léthargie. Un à un les grands établissements ferment leurs portes. Suivant un rite immuable, les tapis sont roulés, les rideaux décrochés, les meubles recouverts, le linge et l’argenterie comptés.
A la veille de sa fermeture, le 31 mai 1913, l’Hôtel Négresco accuse plus d’un million de recettes. Le bilan de la première saison dépasse toutes les espérances: 200 000 francs de bénéfice. Le maître d’hôtel roumain respire… un an seulement. Le 1er août 1914, à 4 heures de l’après-midi, tous les clochers de France sonnent le tocsin, annonçant la mobilisation générale. Deux jours plus tard, le 3 août, la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France vient mettre un terme à la fête.
«Il fallut tout de même se rendre compte que «c’était la guerre», quand on aperçut le 2 août 1914 dans la jolie ville parfumée de Nice, les affiches de mobilisation générale en même temps que «la Générale» aux sons graves et émouvants se faisait entendre», sous-lieutenant Astruc.
12 septembre 1914. La guerre qui vient à peine de commencer fait rage sur tous les fronts. Les pertes sont considérables entraînant l’évacuation de centaines de blessés sur Nice et la réquisition des palaces. Comme l’Impérial, le Ruhl ou le Winter Palace, le Négresco, dont les fastes de l’ouverture résonnent encore dans toutes les mémoires, est affecté à son tour en hôpital militaire complémentaire sous le matricule n° 15. Le Petit Niçois écrit: «de nombreux blessés sont arrivés à Nice cette nuit encore. Un train en a amené 250 à une heure du matin; un deuxième train 250 à 2 h 45 et un troisième train 355 à 5 heures. Les uns arrivent des Vosges, les autres de Belgique, où ils ont pris part aux combats de Neufchâteau, les autres des bords de la Somme et de l’Oise… Le nombre des blessés n’est déjà plus en rapport avec les ressources de nos hôpitaux militaires. Et d’autres convois sont annoncés. Comment va-t-on faire face à une situation déjà particulièrement difficile ? Il nous semble qu’il serait temps de songer qu’il existe à Nice d’autres hôtels que ceux utilisés jusqu’ici par l’autorité militaire."
La Belle Époque n’est plus, emportée par le conflit le plus meurtrier de l’histoire contemporaine. Temple de la villégiature niçoise, le Négresco ouvre une page sombre de son histoire à laquelle le palace n’est pas préparé. «Aux cuisines, là où on a installé les tables d’opération, c’est déjà le trop-plein. Les chirurgiens pataugent dans le sang. Quand ils approchent de la table, les estropiés, ceux qui en ont la force, se mettent à gueuler. Ils se débattent jusqu’au moment où l’infirmier leur plaque le masque d’éther sur le visage. Ils gueulent de peur, ils gueulent de douleur, ça remonte dans les étages, le salon de thé, la salle de musique, les couloirs où on a enlevé les tapis de luxe pour que les chariots roulent mieux et les protéger du désastre. Les grands hôtels: le Majestic, le Ruhl, le Négresco, l’Alhambra, le Grand Hôtel, le Regina, l’Impérial, le Continental, le Royal, l’Hermitage ont dû s’habituer à la misère humaine, aux amputations, au sang qui se répand, aux odeurs. Dès août 1914, les hôpitaux du Nord et de l’Est n’avaient plus de place. Les derniers clients ont bouclé leurs valises, on a entassé le mobilier, les commodes Empire, les chaises Louis XV, les causeuses XVIIIe dans le jardin, abrités de la pluie et du vent par de simples bâches.» Raoul Mille, Le Parfum d’Helena, Albin Michel, 2009.
Le palace est déserté. Marmitons, cuisiniers, garçons d’étage, bagagistes, réceptionnistes sont appelés sous les drapeaux ou retournent en hâte dans leur pays d’origine en Italie, en Suisse ou en Allemagne. Une soixantaine de personnes, aides-soignants, infirmières, brancardiers investissent le gigantesque vaisseau commandé par le médecin-chef Massier, aide-major de première classe, que secondent les médecins volontaires Faraut et Jays. La métamorphose du palace est totale. La conduite d’Henry Négresco exemplaire. N’offre-t-il pas de payer de ses propres deniers l’entretien de cent lits? Reste que devant l’ampleur du conflit, le rêve de l’hôtelier s’effrite. Sans doute ne peut-il pas s’empêcher de penser à ce monde qui bascule. À cet hôtel qu’il voulait le plus bel établissement de la Côte et dont il a confié la réalisation à Édouard Niermans, l’architecte le plus courtisé de cette Belle Epoque. À la réussite annoncée de sa prestigieuse maison, comme en témoigne l’exceptionnel bilan des deux premières années d’exploitation. À cette nouvelle saison hivernale qui s’annonce, et qui ne sera pas. Aux emprunts considérables qu’il a contractés et auxquels il devra bientôt faire face.
«Les villes, comme les êtres, ont une âme qui se modifie, se forme et se déforme selon les circonstances. […] J’ai quitté Nice ville de plaisir, je la retrouve camp retranché. Nice n’a pas d’industrie, pas de commerce, pas d’université, elle a son soleil, ses fleurs, son ciel bleu, ses fêtes. Hier, c’était un jardin de beauté où se promenait une foule d’oisifs. Aujourd’hui, elle est encore parée de fleurs, inondée de soleil, mais elle a perdu sa frivolité, elle s’est adaptée. Partout elle est sillonnée de soldats. […] Les hôtels autrefois pleins d’étrangers riches recueillent des réfugiés belges. […] Nice a perdu son luxe parfois de mauvais aloi, son clinquant, sa frivolité. […] Plus tard, la sanglante tragédie terminée, quand une foule cosmopolite se pressera sur ses promenades, quand le Carnaval secouera ses grelots, qui sait si je ne regretterai pas la Nice grave, attristée, courageuse, que j’aurais vue pendant la guerre.» Renée Tony d’Ulmès.